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Exposer Joanna Concejo
Publié le 29 avril 2021 – Mis à jour le 29 avril 2021
Le dessin
Le langage de Joanna Concejo est le dessin. Deux de ses albums préférés, d’après ses réponses à La mare aux mots, en 2019, sont deux « albums sans texte » de virtuoses de l’image, Voyage d’hiver, d’Anne Brouillard, et Là où vont nos pères, de Shaun Tan.
Elle le dit elle-même : « je dessine, seulement ». Comme elle l’a confié à Jiwone Lee, professeur à l’Université de Séoul, dans un entretien d’octobre 2019, elle ne se sent ni illustratrice ni artiste, le dessin est simplement sa façon d’exprimer ses émotions les plus profondes, et de vivre.
Sa solide formation se manifeste par une grande exigence formelle. Comme le dit Pierre Vax dans un article publié par Culturopoing, on pense à Albrecht Dürer ou aux estampes japonaises.
Le dessin est à la fois précis et libre, très expressif. Ses personnages ou les détails qu’elle dessine ne sont réalistes ni dans leurs proportions individuelles – le trait invente des raccourcis, dit Pierre Vax -, ni dans leurs rapports de proportion et de perspective.
Ils structurent l’espace de la feuille, mais aussi de l’album grâce à leur récurrence. L’importance du motif chez Joanna Concejo se traduit d’ailleurs par un goût irrépressible pour les tapisseries, qu’elle aime dessiner de façon quasi automatique, pendant des heures, comme une activité manuelle apaisante qui permet de penser à autre chose.
Le texte
Même si Joanna Concejo dit que le plus souvent elle dispose d’abord du texte et s’en imprègne avant de dessiner, la place du dessin dans les albums auxquels elle travaille n’est jamais seconde. Le texte peut aller jusqu’à devenir légende de dessin ou dessin lui-même, comme quand elle calligraphie à la main les mots de Quand les groseilles seront mûres.Ses images, faites de détails juxtaposés, de collages, d’esquisses, et leur cadrage – des paysages pleine page, des médaillons en gros plan, des fleurs ou des feuilles collées ou dessinées dans un coin, des murs d’assiettes, tableaux ou vieilles photos, des pages comme coupées en deux, les jambes d’un personnage sur fond blanc en bas, une forêt crayonnée en haut -, font basculer l’album vers le carnet de dessin, le carnet de voyage, l’album de photographies, l’herbier. Comme un retour aux origines de ce nom « album », la page blanche à remplir d’impressions, de souvenirs, de trésors récoltés.
Joanna Concejo n’illustre pas le texte mais se glisse dans ses interstices pour les élargir et montrer de nouveaux horizons.
Quand il lui arrive d’écrire elle-même, comme pour Quand les groseilles seront mûres, ses phrases sont poétiques dans leur rareté et leur force. Elle dit qu’écrire est difficile pour elle, mais dans Ne le dis à personne, elle parvient à une sincérité qui renvoie chacun à ses propres souvenirs, et atteint l’universel.
Pour toutes ces raisons, nous avons voulu découvrir et montrer ses originaux. Après l’admiration face aux livres, l’émerveillement face aux dessins et carnets. Leur découverte a fait apparaître la plasticienne, l’épaisseur du travail en trois dimensions.
Le papier
Ce qui frappe d’abord, c’est le goût pour le papier, tous les papiers. Le papier à dessin et son grain, le papier lisse du carnet, le papier froissé d’un napperon de service, le papier peint récupéré, le ruban adhésif que la vieille colle raidit, le papier calque, les trous, les taches, le jaunissement… « J’aime les papiers abîmés », nous dit-elle avec élégance quand nous lui avouons l’accident d’accrochage d’un des originaux, et l’irréparable déchirure qui nous mortifie.
Le travail de composition de la page avec ces différentes épaisseurs et teintes, les superpositions, les effets de transparence qui apparaissaient déjà dans les livres imprimés, sautent aux yeux devant les originaux.
Le crayon
Ce qui apparaît ensuite avec plus de force que dans l’imprimé, c’est la nudité, la justesse du trait et la profondeur de l’émotion qu’il provoque. Aucun artifice, aucune concession à la mode, les dessins sont au crayon de papier, crayon de couleur, pastel. On voit comment les couleurs sont « assourdies » par leurs rapprochements ou la teinte du papier, ce qui, comme le dit Pierre Vax, empêche les dissonances et enrichit les nuances.
On ne peut le dire plus justement que Jiwone Lee - ces dessins au crayon, l’évocation du geste simple de faire glisser la pointe sur un papier de hasard, et le souvenir du plaisir éprouvé – en substance, « le travail de Joanna Concejo fait renaître le souvenir de notre passé graphique ».
L’émotion ressentie à la lecture des albums, et devant l’œuvre plastique, nous rendaient impatients de rencontrer l’artiste. Elle est venue nous parler de son travail passé et en cours, de sa formation, de ses sources d’inspiration.
Le temps intime et ce qu’on décide d’en dire
La question du temps, du souvenir d’enfance, de la jeunesse enfuie, de la mort qui arrive tranquillement, de la journée qui s’écoule, et de la valeur du temps présent partagé avec les êtres aimés est omniprésente dans les albums de Joanna Concejo.Elle prend chair dans la superposition des papiers de différents âges, dans la composition de dessins qui se juxtaposent ou se superposent sur la page, dans le fondu des couleurs.
L’évocation du père dans Quand les groseilles seront mûres, de la mère et de son chant dans Sénégal, l’échange de souvenirs avec le mari et l’insertion d’un dessin du fils dans Ne le dis à personne, nous faisaient pressentir une personnalité sensible et délicate, dont la générosité et l’énergie dans le travail n’ont d’égales que la retenue et la sobriété quand elle en parle.
L’enfance en Pologne, les affiches rapportées de la Mairie par le père pour qu’elle dessine au dos ; l’école des Beaux-Arts, où l’enseignement « très académique » lui a appris à dessiner sans s’arrêter des heures durant ; Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature polonaise pour qui elle dessine des couvertures de livres, et dont le chien se retrouve dans ses albums ; le travail avec un auteur qui se dédit et qui l’amène à écrire un texte, elle qui a du mal avec l’écriture, dit-elle ; les photos de proches ou d’inconnus, qui lui servent de modèles pour ses personnages.
Le temps de la rencontre, à nous de saisir les petits cailloux qu’elle sème dans le discours, et qui doivent nous suffire pour la suivre.
La photographie, vertige du passé toujours recommencé
Outre les vieux papiers, Joanna Concejo collectionne les photographies anonymes. Elle les trouve, les achète aux puces, les glane sur internet. Elle dit que tous ses personnages, humains ou chiens, ont un modèle photographié, que cela l’aide à varier les traits, les postures.
Elle va plus loin. Dans ses dessins d’intérieurs, elle place souvent au mur des cadres reproduisant les photographies collectionnées. Une même photographie, reproduite dans un carnet, peut être dessinée dans un album et redessinée différemment dans un autre.
Elle nous dit « si je pouvais en vivre, je passerais ma vie à redessiner des photos ». Comme un exercice technique, bien sûr, pour le bonheur d’accumuler et de reproduire les images, sans doute, mais peut-être aussi par fascination pour l’instant sauvé de l’oubli, et pour contribuer à un éternel recommencement ?
Nous avons exposé Joanna Concejo, au sens propre comme au sens figuré : nous avons attiré l’attention sur ses albums, montré ses originaux, et nous avons fait parler de son travail (et enregistré) une artiste qui aime la discrétion et la simplicité.
Nous espérons l’avoir exposée à être lue et relue par vous !
https://www.galerierobillard.com/fr/artists/details/67/joanna-concejo
https://galerieleserpentvert.com/index.php/portfolio/joanna-concejo/
https://www.ricochet-jeunes.org/auteurs/joanna-concejo
https://lamareauxmots.com/les-invite%c2%b7e%c2%b7s-du-mercredi-simon-bailly-et-joanna-concejo/
https://www.culturopoing.com/livres/joanna-concejo-ce-qui-palpite-et-fremit/20180530
https://sites.lsa.umich.edu/mqr/2019/10/found-fairy-tales-on-the-art-of-joanna-carcejo/
Bibliographie
Bibliothèque Saint-Agne, Service de documentation de l’inspé Toulouse Occitanie-Pyrénées
janvier 2021.